lundi 2 septembre 2013

Un pas de plus et c'est fini


Elle marche la tête haute, la vie défilant devant ses pas meurtris par la vie. Elle attendait quelque chose d'autre. Un pas. Une phrase. Des mots prononcés à la va-vite. Elle ne sait plus quoi penser. Elle regarde l'asphalte qui se dresse, luisante sous ses pieds. Elle n'a plus envie de mentir. Elle n'a plus envie d'être le mal pour les autres qui ne voient en elle que le diable. Ses pieds avancent. Sa fureur grandit. Elle ne sait plus qui elle est. Cela reviendra. Pour l'instant, il suffit d'écraser la vie d'un mouvement de pas précipités. C'est ce qu'elle fait. Ses pas sont aussi lourds qu'un crâne humain écrasé sur le trottoir incandescent.
Elle ne savait pas avant. Avant qu'il soit venu, qu'il lui est dit. Qu'il est prononcé ces mots. Elle ne savait pas. Elle n'aurait pas su. Si tout cela ne serait arrivé, elle n'aurait jamais su. Mais ce n'est pas comme ça que ça se passe. C'est arrivé. Et elle marche. Elle marche en écrasant la vie sous ses pas. Cela fait du bien. Cela refoule les larmes qui coulent de ses yeux. Son mascara qui descend progressivement, dessinant des larmes souillées de noir. Elle laisse faire. Elle laisse le temps continuer sa course. Mais pas ses pas, non, ses pas sont autre chose, ses pas s'occupent du temps.
Son visage est souillé par la vie trop précieuse qui est venue la chercher à un moment mal tombé. Elle jure. Ses talons écrasent le sol, provoquant un claquement régulier qui rythme ses pas, qui eux vont vite, si vite pour écraser la vie d'un coup de colère. Elle aurait pu savoir. Savoir que la vie est terrifiante, qu'on échoue à chaque fois qu'on y met un pied. Elle est naïve. Son cœur se déchire. Il y a bien longtemps que son cœur s'est déchiré, depuis qu'elle a compris que la vie n'est pas ce qu'elle croyait, qu'elle est cruelle, si cruelle pour une petite fille comme elle. Ce n'est plus une petite fille. Elle a trente ans et ses pas fracassent le sol comme si elle avait voulu détruire la vie qui se tient à ses pieds. Cette vie qui n'est pas une vie, qui n'existe pas, qui n'est que du béton sous ses pas crevés d'avoir trop marché. Ça t'apprendra à être si naïve, elle se dit.
Il avait dit. Il avait prononcé ces mots sortis de sa bouche. Sa bouche qui était dès lors si sensuelle. Maintenant, plus rien. Le temps continu sa course folle sans que personne n'est su quoi que se soit. Comme si elle était seule au monde. Comme si personne ne l'avait interrompu dans ses pas saccadés. C'est ce qui se passe. Personne qui ne l'a retient, aucune main sur son épaule. Il n'y a rien qui ne l'empêche d'avancer. Elle est libre de sa vie. Elle a trente ans, elle n'est plus la petite fille qu'elle a un jour été. Elle doute parfois. Elle n'est pas sûre. Elle a trente ans, elle vit sa vie, elle est seule, additionnant les hommes qui se succèdent pour ensuite la rejeter, toujours. Elle a trente ans mais parfois c'est comme si elle en avait neuf, neuf petites lueurs pour lui dire qu'elle est seule sans personne à l'horizon, qu'elle est seule dans cette vie bien trop grande pour ses pas de petite fille. Parfois, elle ne sait pas, elle est perdue, complètement perdue dans cette vie qui lui crie à l'aide. Elle a neuf ans. Alors elle marche. C'est comme ça qu'elle refoule son mal-être.
Mais celui-là, cet homme, elle n'avait pas vu venir ses mots. Elle s'était attachée à lui.
Elle se répète cette phrase, cette seule phrase sortie de sa bouche, à lui.
Il l'avait dit comme ça, d'une voix claire, distincte, sans intonation particulière. Il l'avait dit d'un ton neutre qui ne voulait rien dire de particulier. Il l'avait dit et elle était restée sans comprendre, anéantie par ces quelques mots.
Marie, je suis homosexuel.
Ces quelques mots pourtant si puissants.
Elle était restée sans voix. Avait fait demi-tour, les larmes commençant à couler de ses yeux. Avait marchée. Aussi vite que le temps. Et cela continuait. Jusqu'à ce que la fatigue prenne le dessus.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire