[...] C'est l'été, et je ne le déteste pas.
Pas
encore. Pas tout à fait. Les moqueries ne m'ont pas encore atteinte assez
profondément, la honte ne m'a pas encore dévorée tout cru, exhibant sa
puissance, me réduisant au statut d'une minuscule crotte dans l'état du monde.
La
honte détruit tout. Avec elle, nous pouvons nous mettre à détester la Terre
entière. N'essayez jamais cela. Vous ne voulez pas rejoindre l'enfer ? Un
conseil, n'ayez pas honte. Ne culpabilisez pas. Ne montrez aucune gêne. Vivez,
un point c'est tout. Ne faites pas comme moi. Tenez-vous droit. N'embrassez pas
un garçon dans la rue, un être du même sexe que vous ou une fille croisée au
hasard des rencontres. Tenez-vous. Apprenez à vous comporter correctement.
Soyez polis avec les gens que vous croisez et ne faites pas de bêtises. Ne
tombez pas malade. Ne vous mouchez pas grossièrement dans vos songes, jetez vos
mouchoirs et priez. Se tenir à carreau, c'est primordial. C'est seulement comme
ça que vous aurez le droit à la paix. C'est seulement comme ça que vous n'irez
pas en enfer. Si vous avez de la chance, les démons ne vous emporteront pas. Si
vous avez de la chance, vous ne serez pas roux, alors l'enfer ne vous attendra
pas quand il n'aura rien d'autre à faire. Encore faut-il que vous vivez bien.
Que vous ne faites pas de faux pas. Être né roux, c'est la pire chose qui
puisse vous arriver. Être né avec l'enfer sur les épaules. Être né en sachant
que loin devant, la mort vous attend avec l'enfer à bras ouvert. Il faut vivre
avec ça. Savoir apprivoiser ses peurs. Cacher ses angoisses au fond de son âme.
Et puis, oublier tout ça, et vivre du mieux que l'on peut. D'une façon ou d'une
autre, la mort vous attendra, inévitablement, loin derrière ou tout près, avec
l'enfer en prime et du piment pour combler le tout. Si vous êtes sage, vous
n'aurez pas le droit à tout ça. Si vous êtes sage, l'enfer n'est pas pour vous.
Je
vis avec la crainte que l'enfer me rattrape, bien en chair. Je vis avec la
crainte qu'embrasser un garçon sur la bouche, un garçon roux, conduit à une
mort certaine.
J'entends
déjà ses mots sortir de votre gorge. Pourquoi alors, avoir embrassé cet homme
en plein sur les lèvres ? Pourquoi l'envie subite de ne plus faire qu'un avec
la bouche d'un homme que je ne connais même pas ? Peut-être est-ce ça qu'on
appelle une pulsion. Le corps ayant tout d'un coup un besoin qu'on ne peut
exprimer. Attiré dans l'instant présent vers une chose qui nous est impossible
d'éviter. La pulsion arrive et c'est comme si on était en manque de quelque
chose. En manque d'amour peut-être.
Il
est là, avec son écharpe rouge autour du cou, son nez qui dégouline dans son
mouchoir usagé, et je le déteste. Il est dégueulasse. N'est-ce-pas ça l'amour ?
De la haine ? [...]
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