mercredi 4 septembre 2013

Extrait de Si nous en étions à cracher la terre - écriture en cours


[...] C'est l'été, et je ne le déteste pas.
Pas encore. Pas tout à fait. Les moqueries ne m'ont pas encore atteinte assez profondément, la honte ne m'a pas encore dévorée tout cru, exhibant sa puissance, me réduisant au statut d'une minuscule crotte dans l'état du monde.
La honte détruit tout. Avec elle, nous pouvons nous mettre à détester la Terre entière. N'essayez jamais cela. Vous ne voulez pas rejoindre l'enfer ? Un conseil, n'ayez pas honte. Ne culpabilisez pas. Ne montrez aucune gêne. Vivez, un point c'est tout. Ne faites pas comme moi. Tenez-vous droit. N'embrassez pas un garçon dans la rue, un être du même sexe que vous ou une fille croisée au hasard des rencontres. Tenez-vous. Apprenez à vous comporter correctement. Soyez polis avec les gens que vous croisez et ne faites pas de bêtises. Ne tombez pas malade. Ne vous mouchez pas grossièrement dans vos songes, jetez vos mouchoirs et priez. Se tenir à carreau, c'est primordial. C'est seulement comme ça que vous aurez le droit à la paix. C'est seulement comme ça que vous n'irez pas en enfer. Si vous avez de la chance, les démons ne vous emporteront pas. Si vous avez de la chance, vous ne serez pas roux, alors l'enfer ne vous attendra pas quand il n'aura rien d'autre à faire. Encore faut-il que vous vivez bien. Que vous ne faites pas de faux pas. Être né roux, c'est la pire chose qui puisse vous arriver. Être né avec l'enfer sur les épaules. Être né en sachant que loin devant, la mort vous attend avec l'enfer à bras ouvert. Il faut vivre avec ça. Savoir apprivoiser ses peurs. Cacher ses angoisses au fond de son âme. Et puis, oublier tout ça, et vivre du mieux que l'on peut. D'une façon ou d'une autre, la mort vous attendra, inévitablement, loin derrière ou tout près, avec l'enfer en prime et du piment pour combler le tout. Si vous êtes sage, vous n'aurez pas le droit à tout ça. Si vous êtes sage, l'enfer n'est pas pour vous.
Je vis avec la crainte que l'enfer me rattrape, bien en chair. Je vis avec la crainte qu'embrasser un garçon sur la bouche, un garçon roux, conduit à une mort certaine.
J'entends déjà ses mots sortir de votre gorge. Pourquoi alors, avoir embrassé cet homme en plein sur les lèvres ? Pourquoi l'envie subite de ne plus faire qu'un avec la bouche d'un homme que je ne connais même pas ? Peut-être est-ce ça qu'on appelle une pulsion. Le corps ayant tout d'un coup un besoin qu'on ne peut exprimer. Attiré dans l'instant présent vers une chose qui nous est impossible d'éviter. La pulsion arrive et c'est comme si on était en manque de quelque chose. En manque d'amour peut-être.
Il est là, avec son écharpe rouge autour du cou, son nez qui dégouline dans son mouchoir usagé, et je le déteste. Il est dégueulasse. N'est-ce-pas ça l'amour ? De la haine ? [...]

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