samedi 31 août 2013

Extrait - écriture en cours

Il y a comme ça des jours où l'ombre du corps demeure impassible. Nonchalant, il s'éveille, comme à la limite du vide. Un matin de neige où il fait nuit. C'est comme ça que tout commence. Les chairs se mouvent dans les draps de nuit, et il est si dur d'éveiller son âme lorsqu'il est l'heure d'aller vivre. Vivre à plein poumon sous les flocons et faire ce qui nous semble le nécessaire : avancer sur le chemin de neige, et ne pas tomber. Tomber serait la fin de tout. Échouer une vie qu'on a eu si grand mal à remplir.
Mais le corps s'accélère, fait bouger ses peaux dans la chaleur du lit et puis soudain s'élève, impétueux, le vif éclair d'une impulsion qui rappelle au cœur son utilité.
On se lève nonchalamment. On habille sa peau nue de tissus afin que l'hiver ne nous prenne pas toute froide dans ses bras de nuit.
Il est une heure qu'il est difficile d'imaginer très près du jour.
Il est une heure. Six heures du matin. On se lève dans cette heure, après une longue tempête. Les rêves demeurent puis s'évaporent dans la tête emmitouflée de laine.
On a un nom. On a un prénom. On a un corps, un âge, une profession. On a une identité et on se lève, à six heures du matin, pour aller vivre.
Le corps ferme la porte derrière lui, les clés rangées dans le sac, et il avance.
Dehors, le froid. Le froid qui vrille chaque parcelles de peau, chaque pores de chairs, chaque grains de particules.
Dehors, la neige. Elle est blanche. Elle est belle. Elle ne se soucie de rien d'autre que d'offrir du froid aux hommes.
Nous aimons la neige. Mais à six heures du matin, dans la petite rue qui n'est que vacuité, où le froid seul dénude son museau de givre, où la nuit est égoïste et ne veut laisser place au jour, le blanc nous laisse indifférente.
Tout au plus, tout au moins, voilà trois semaines que la neige a tout recouvert, s'est installée sans rien demander à personne, a étalée son grand manteau immaculé et ne l'a plus enlevé. Maintenant, on attend. On patiente dans les lainages et les pull-overs, afin de voir la neige exhiber sa parure, à poil et sans défense, démunie face au jour et au temps redevenu comme avant : dépourvu de blanc, parfait.
Trois semaines dans ce pays incertain comme la lune, personne n'a l'habitude.
A force de trop d'entrevue avec l'incroyable, le monde n'est plus que morosité.
Et nos visages rongés par la cécité.
A force de trop d'entrevue avec l'extraordinaire, nos yeux ne démontrent plus la moindre lueur d'exaltation.
On dirait même que la neige est morte. Nous avec.
Plus tard, quand il ne neigera plus, nous oublierons. Et puis cela recommencera l'année prochaine, la même routine, la même connaissance du rien, la même solitude du néophyte : la magie de la neige puis l'oubli incessant de l'incroyable. L'extraordinaire devenu rien.
Elle marche. Dans la rue blanche, dans la vie devenue pureté, elle marche. Où va-t-elle ? Vivre.
Vivre à six heures du matin pour quelque chose qui l'indiffère.
Elle est caissière. Hôtesse de caisse. Elle s'en fout.
Alors appelle-t-on ça encore vivre ?
Vivre pour se lever à six heures du matin et faire payer de la nourriture, qui pourrira dans les estomacs, les réduisant en chairs grasses et épaisses, provoquant des furoncles sur les beaux visages, des maladies. Les cancers. Les ulcères. Voilà ce qu'ils choperont ces amoureux de bouffe en boîte, à cause des merdes qu'elle enregistre. Sa faute. Sa faute à elle.
Savez-vous qu'ils introduisent de la viande de cheval dans les hachis-parmentiers en boîte, lorsqu'il est inscrit viande de bœuf en toutes lettres, afin de ne pas voir l'abomination qui se cache au revers de ces plats cuisinés à l'image sublimement savoureuse. De l'arnaque oui. De l'arnaque pure et dure. Savez-vous que toutes ces conneries, c'est pour vous faire acheter, encore plus, et puis crever pour laisser la place au monde, afin de copuler, encore et toujours ?
Ce qu'elle voudrait dire, un jour elle le dira. Et se sera tant pis pour elle. On verra bien.
Le monde n'est qu'une grande boucherie dans laquelle des êtres qui dirigent le monde attendent qu'on crève, chacun notre tour, pour faire de la place, toujours plus de place.
Elle marche. Elle pense. Elle regarde tout ce blanc autour d'elle. Elle a froid. [...]

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